De la littérature jeunesse
Posted By /*php the_author_posts_link(); */?>Svet Mori le 12 juin 2018
Encore un article qui traînait dans un coin du cerveau depuis des lustres. Dans la série « blabla », après les livres d’occasion, voici quelques brins de pensée en vrac concernant la littérature jeunesse… ou plutôt, la littérature jeunesse d’aujourd’hui.
Alors autant prévenir que ça va sentir un poil le vieux réac’ sur certains points, que les avis donnés pourront éventuellement faire grincer quelques dents (de toutes façons, dès que ça touche au parenting on a forcément tort aux yeux de quelqu’un…) et que ceux-ci n’engagent que moi. A chacun sa vision des choses, en somme ! 😉
Aventure, fantasy, fantastique, romance, z-lit… On trouve en jeunesse exactement les mêmes genres qu’au rayon adulte
Tout d’abord, on va parler moins des livres en eux-mêmes que de la façon dont les jeunes lecteurs sont « gérés » par leurs parents.
En tant qu’adultes, on a la chance d’être libres de lire tout ce qu’on veut (enfin, en théorie, mais ça, c’est pour la dernière partie), dans la limite de notre portefeuille et de la disponibilité des titres. Mais pour les pitchounes, c’est plus compliqué : ceux-ci ne choisissent pas toujours leurs lectures, et même lorsque c’est le cas, l’autorité suprême est encore capable d’y fourrer son grain de sel.
Moi par exemple, j’ai passé ma vie à entendre « TU LIS TROP VITE !!! ». Mini-Poison bouffait ses livres à une vitesse alarmante, ce qui faisait qu’après, iel n’avait plus rien à me mettre sous la dent.
Ma mère n’était pas Crésus mais a toujours tenté de faire au mieux, ceci dit, au bout d’un moment, il a quand même fallu qu’elle freine mes ardeurs livresques. Du coup, elle a fini par m’envoyer à la bibliothèque, où la limite d’emprunt s’est illico avérée tout aussi frustrante.
Sur le coup, ce « tu lis trop vite » m’apparaissait profondément injuste. C’est vrai, quoi, qu’on me laisse lire !
Plus de vingt ans après, maintenant que je paie mes livres, cette petite phrase a plus de sens que jamais. Alors non seulement je stocke façon écureuil parce que je sais que ça ne pourra pas durer, mais en plus, j’emploie tous les trucs possibles et imaginables pour me ralentir parce que je suis toujours capable de bouffer une trilogie en 24h. La lecture est donc réservée à la fin de soirée, après avoir fait autre chose (écrire, jouer, mater un film…), et quand, oups ! je me laisse un peu emporter et finis le truc d’un coup, j’attends exprès plusieurs jours avant de commencer autre chose, comme si j’avais lu à vitesse « normale ».
Bref, ça, c’est ce que j’appelle une « bonne » régulation parentale. Ce n’était pas seulement une histoire de prix des livres, comme je le croyais de mon point de vue d’enfant (à la fois parce qu’on était labellisés « pauvres » par rapport à mes camarades de classe et que le sujet revenait toujours sur le tapis, mais aussi parce que ma mère a essayé de m’apprendre très jeune la valeur de l’argent. Je ne sais pas si elle a vraiment réussi, mais bon, au moins, elle a tenté), mais aussi d’apprendre à se mettre des limites et accessoirement à éviter de lire jusqu’au mal de tête.
Sauf que tous les parents ne sont pas ma mère.
Quand on est à traîner dans les rayons de la Fnac, soit à regarder en vrac, soit à attendre un vendeur, il n’est pas rare d’entendre les conversations des voisins. En général, je n’écoute pas exprès, mais souvent, c’est assez difficile d’y échapper.
Cette fois-ci, en l’espace de cinq minutes, on a eu deux exemples diamétralement opposés de parents de jeunes lecteurs.
Le premier était un père qui cherchait à lire pour sa fille et demandait son avis à celui qui l’accompagnait en attendant le vendeur. La personne en question l’interrogeait sur les goûts de la gamine, visiblement très axée fantastique et « adorant quand plein de persos meurent ». Les deux hommes ont ainsi discuté un certain temps, pointant certains trucs sur les étagères. La fille en question avait l’air d’être assez jeune mais d’avoir lu et adoré pas mal de romans young adult, manifestement suffisamment pour que trouver quelque chose qu’elle ne connaisse pas encore dans ces rayons très standardisés commence à relever du casse-tête. Bref, d’un côté, on a une gamine mature pour son âge et qui a la chance d’avoir un papa qui connaît ses goûts, ses lectures, et n’est pas effrayé le moins du monde par le fait que sa progéniture apprécie « les trucs un peu trashouille »…
… et de l’autre, juste avant qu’on parte du rayon, s’est pointé un duo mère-gamin. Le premier se précipitait vers les étagères (c’est chou !), pendant que sa génitrice beuglait derrière lui « Non, tu vas dans le rayon des 6-9 ans, c’est les trucs pour ton âge ! ». A noter que la mère en question n’en avait personnellement pas grand-chose à cirer du contenu dudit rayon ensuite.
Ce n’est pas la première fois que dans ce même endroit, je vois un gamin se dirigeant spontanément vers la « tranche d’âge supérieure » se faire recadrer par un parent. Le profil type de ce genre de parent ? Celui qui regarde ailleurs ou sur son téléphone pendant que sa progéniture choisit elle-même ses livres. Mais attention, il ne faut pas que ça tombe sur un livre qui, après un coup d’œil d’environ une demi-seconde, « fait bébé » (tranche d’âge inférieure) ou « sera trop compliqué pour toi » (tranche d’âge supérieure) ! Alors ok, sur le principe, je suis d’accord avec le fait qu’il ne faut pas mettre un Mortal Instruments dans les mains d’un gosse de sept ans, par exemple. Sauf que le gamin de 7-8 ans, il ne va pas regarder le rayon young adult (ou rarement), mais plutôt du côté des 9-11 ans, autant dire que ce ne sont pas les thèmes abordés qui risquent de poser problème. A partir de là, pourquoi vouloir empêcher son mioche de lire un truc qui lui fait envie ?
… Ce qui m’amène au second thème de cet article.
… Ne faudrait-il pas arrêter de prendre les enfants pour des abrutis ?
Combien de fois n’ai-je pas vu certain.e.s grogner sur le fait d’avoir lu dans une critique « livre vraiment trop jeunesse », avec l’argument du « oui ben justement, c’est un bouquin jeunesse alors en quoi ça devrait être un problème ? ».
C’est un problème compte tenu du fait qu’il n’y a pas si longtemps, les livres « jeunesse » proposaient certes des histoires adaptées au jeune public, mais ne simplifiaient pas parfois la langue comme si le truc s’adressait à des débiles.
Vous avez déjà ouvert un Club des Cinq, les vieux d’époque avec la couverture cartonnée ? Passé simple, plus-que-parfait, vocabulaire riche, ça ne rendait pas pour autant le truc difficile à lire et n’a, à ce que je sache, traumatisé personne. Et ne parlons même pas des « classiques jeunesse » comme L’île au trésor ou Alice au pays des merveilles, qui ont été lus par des générations d’enfants sans que personne ne s’offusque ni de leur niveau de langue parfois soutenu, ni du vocabulaire !
Et quand bien même un gamin piocherait un bouquin qui s’avérerait « trop difficile pour lui », il sera toujours infiniment plus motivé à l’idée de lire une histoire qui lui plaît que quelque chose certes adapté à son niveau, mais qu’il n’a pas choisi. D’autant que rien n’empêche les adultes de l’aider en cas de besoin ! Et enfin, dans le pire des cas, il pourra toujours y revenir un peu plus tard.
Bref, passé les toutes premières lectures (mettons à partir de 6-7 ans), il n’y a vraiment AUCUNE excuse pour les livres « trop jeunesse », ceux écrits au présent, avec des phrases courtes et purgés de tout mot de vocabulaire compliqué, comme si le lecteur était stupide. Aucune. Là je sais que sur ce point, tout le monde n’approuvera pas (« oui, mais y’a les enfants qui galèrent, tu vois »), à ceux-là, j’ai envie de dire : les gamins galéreraient peut-être moins si on ne faisait pas absolument tout pour leur faciliter les choses. Si, au lieu de niveler toujours plus vers le bas, on n’encourageait pas plutôt les progrès. Quitte à foutre un glossaire à la fin des livres. Si un pitchoune a envie de lire, mais du mal à le faire, autant lui donner les moyens d’y arriver plutôt qu’un truc tout cuit. Ça n’est ni aider, ni donner de bonnes habitudes vis à vis de l’avenir, où ce que l’on attend des individus ne sera pas spécifiquement adapté exprès pour eux.
Il y a aussi un vrai travail d’éducation à faire au niveau des parents, dans le cas de ceux qui savent que leur enfant a un peu de mal avec la lecture, pour qu’ils encouragent à persévérer et soient là pour aider.
(J’avais prévenu qu’il y aurait un côté vieux con.)
Pour en revenir au Club des Cinq, >la licence a cruellement souffert de cette incompréhensible baisse de niveau, mais aussi d’une censure< encore plus scandaleuse. Pour résumer, un personnage auparavant battu est devenu simplement grondé et puni. C'est qu'il ne faudrait surtout pas choquer les gamins d'aujourd'hui, vous voyez. Oui, les mêmes qui peuvent voir des images de guerre à la télé, visionneront leur premier porno avant douze ans (voire moins, ne rêvez pas) ou joueront à Call of sur la console de l’aîné.e d’un.e de leurs potes à peu près au même âge. Là encore, sans s’en retrouver traumatisés pour autant. Alors attention, je ne dis pas qu’il faut les laisser accéder à tout, juste qu’il est totalement illusoire d’espérer les en « protéger », et que le dialogue et les explications restent la meilleure des préventions.
Pour en revenir au sujet, l’exemple du Club des Cinq est selon moi encore plus grave : en occultant totalement la maltraitance de l’histoire, les enfants eux-mêmes victimes d’abus parentaux et qui, à cet âge, ne comprennent pas forcément qu’il leur faut aller chercher de l’aide, n’ont plus cette référence directe à leur propre situation. De même pour leurs amis. Dans le monde de la fiction, la maltraitance ne devrait pas exister « pour ne pas choquer » ; mais pourtant, elle existe bel et bien dans le monde réel. Le message envoyé aux enfants battus par cette histoire de censure, c’est donc qu’ils doivent être invisibles pour ne pas heurter la sensibilité des autres !
Heureusement, à côté de ça, il y a des auteurs comme Guillaume Guéraud >qui ont tout compris< et ne prennent pas le lectorat, aussi jeune soit-il, pour des buses.
Pour ma part, j’étais un.e gamin.e très en avance, du genre à se faire chier à l’école toute la journée même après avoir sauté une classe, à avoir vidé la biblio de ladite classe en moins d’un mois sans y avoir trouvé mon bonheur parce que c’était trop bébé, et tapais donc dans la biblio de mes parents dès huit ans. Ma mère veillait simplement à ce que je ne lui pique pas n’importe quoi, et c’est tout. Devinez quoi, il n’y a jamais eu le moindre problème. Les livres les plus « durs » sur lesquels j’ai ainsi pu tomber c’est « Jamais sans ma fille » vers 10-11 ans, mais ma mère savait que j’avais la maturité pour les lire. Exactement comme le père croisé dans les rayons de la Fnac au sujet de sa gamine.
Aucun enfant ne lit comme les autres, n’a le même niveau de lecture et encore moins le même vécu ni le même ressenti sur la vie ; certains livres resteront toujours « sensibles » pour certain.e.s sans jamais poser problème à d’autres. De même, même au rayon adulte, certains livres sont moins accessibles que d’autres. C’est donc moins une histoire d’âge que d’individu.
Mais, bien évidemment, demander à un parent qui fixe son smartphone sans vraiment s’intéresser aux lectures de son gamin de comprendre tout ça, c’est sans doute trop demander.
… Mais on en a pas tout à fait fini avec les histoires de tranche d’âge !
Merci Kami-sama, les vendeurs de ma Fnac et des librairies du coin sont adorables et ne te jugent pas quand tu es un adulte qui vient écumer le rayon jeunesse.
Par contre, de la part des autres clients (souvent du type « parent-rien-à-foutre » cité plus haut, d’ailleurs), on n’échappe pas toujours au regard au mieux amusé, au pire méprisant.
Et encore, ayant atteint il y a quelques années maintenant l’âge où la société considère que j’aurais dû me reproduire, le bénéfice du doute m’est désormais octroyé lorsque je suis pris.e en flagrant délit dans le rayon 6-12 ans. Par contre, quand il s’agit du rayon young adult, où je suis manifestement encore trop jeune pour y être pour quelqu’un d’autre que moi-même, le verdict des yeux est immédiat : « Comment oses-tu, toi, adulte, t’abaisser à t’aventurer en ces terres de sous-littérature ?! »
Alors peut-être que ces gens n’ont jamais pris plaisir à suivre une histoire en lisant un bouquin à leur gamin, mais le résultat est là : si l’on considère que les enfants ne devraient lire que ce qui a été écrit spécifiquement pour eux, les adultes n’auraient pas non plus le droit d’y mettre leur nez !
Et quand bien même la différence entre les deux est parfois ténue (en particulier dans la tranche 12-15 ans où seule l’absence de sexe explicite marque occasionnellement la frontière), quand bien même tous les bouquins jeunesse ne sont pas caviardo-simplifiés (heureusement !).
Parce que la plupart de ces livres ne souffrent en réalité pas du rayon dans lequel ils sont rangés, mais bien de leur appartenance majoritaire aux littératures de l’imaginaire.
Les mêmes science-fiction, fantasy et fantastique qui, dans leur version adulte, souffrent tout autant des préjugés de la part de ceux pour qui la seule littérature valable, c’est la blanche et rien que la blanche (et si possible des Pléïades à 60 boules le tome parce-que-ça-c’est-des-vrais-livres), ou alors exclusivement des essais et de la philosophie, ou avec un peu de chance des polars bien noirs, parce que même si c’est de la lecture « de divertissement », ça reste du sérieux. Mais de la magie, des mondes fantastiques, des créatures surnaturelles, des planètes inconnues ? L’adulte bien-comme-il-faut ne touche surtout pas à « ça », comme si laisser son cerveau s’éloigner un peu trop du train-train quotidien était une trahison.
Oui, j’exagère volontairement, mais ne rigolez pas trop, il existe vraiment des gens (dont la vie est probablement bien chiante et terne) qui pensent comme ça. Bon, d’un côté, chacun est libre de lire ce qu’il lui plaît, hein. Mais le faire sans cracher sur les lectures des autres, c’est encore mieux.
Bref, voilà. C’était long, c’est parti un peu dans tous les sens et au final il y aurait sûrement eu de quoi pondre trois articles différents avec tout ça, mais au final ça n’aurait pas forcément servi à grand-chose.
Le mot de la fin : si vos gamins lisent, tant mieux ; s’ils ne lisent pas, tant pis ; et si vous, vous avez envie d’aller zieuter le rayon jeunesse, ne vous privez pas, y’a du (très) bon dedans !
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